Brexit : une si mauvaise nouvelle pour le marché des transferts ?

Last Updated on 8 janvier 2021 by Thibault Dreze

Depuis le premier janvier, le Brexit est enfin devenu effectif, quatre ans après le référendum qui a déchaîné les passions en Grande-Bretagne. Et les conséquences sur le foot sont plutôt immédiates puisque les joueurs désireux de rejoindre les clubs d’outre-Manche devront dorénavant obtenir un permis de travail. C’était déjà le cas pour les joueurs venant des autres continents, ça le sera désormais pour ceux de l’Union Européenne. Souvent présenté comme une mauvaise nouvelle pour le marché européen, le Brexit a aussi ses bons côtés.


Il n’y a encore pas si longtemps, la Premier League était un championnat fort conservateur, tourné vers les joueurs locaux. Mais dans le courant des années 2000, avec l’arrivée d’entraîneurs continentaux, le jeu s’est européanisé, délaissant le kick and rush pour un jeu plus léché venu des pieds des joueurs du monde entier. En 2019, les joueurs de l’Union Européenne représentaient même 45% du temps de jeu total.

Et l’amour est réciproque : l’Angleterre est devenue un élément clé lors du mercato : forte de ses droits télés exorbitants, elle peut se permettre de dépenser à tour de bras, redistribuant l’argent aux clubs de l’Europe entière, ce qui permet à ces derniers de réinvestir par la suite. Ainsi, lors du dernier mercato, pourtant qualifié de calme suite à la crise du coronavirus, les clubs de Premier League ont dépensé près d’un milliard et demi, régalant par la même occasion certains clubs à court de liquidité et obligés de vendre. Mais la dynamique va, semble-t-il, se ralentir.

Régulation pour les jeunes

La première restriction touche les joueurs de moins de 18 ans. Ils ne pourront tout simplement plus être transférés d’un club européen (des dérogations peuvent toujours être attribuées, mais à titre exceptionnel). En ce qui concerne les jeunes âgés de 18 à 21 ans, les clubs de Premier League (la mesure ne s’applique pas aux autres divisions) auront droit à trois transferts maximum par mercato. Un club comme Chelsea va donc devoir changer sa politique : recruter des jeunes de partout pour les envoyer en prêt dans la foulée et espérer que quelques-uns éclosent ne sera plus possible.

Pour la Belgique comme pour les autres pays de l’UE, il y a, derrière l’aspect purement financier et la difficulté croissante de rentabiliser les talents de son académie, des aspects positifs. À commencer par nos clubs qui pourront garder certains de leurs talents plus longtemps (à noter que s’ils veulent vraiment vendre leurs jeunes, ils n’auront aucun mal à les envoyer vers d’autres compétitions, mais la Premier League représentait malgré tout l’attrait principal). Pour les supporters aussi, l’espoir de pouvoir regarder plus longtemps la percée de jeunes pousses du cru est bien là, de quoi contrebalancer au moins un petit peu cette impression d’être le dindon de la farce du foot business.

Pour les principaux concernés, les joueurs, l’occasion est belle de réfléchir à un plan de carrière un peu plus rectiligne. En effet, combien ont succombé très tôt aux sirènes de la Premier League, incapables de dire non à un club qui envoie l’entraîneur de son équipe première le chercher à l’aéroport et aux salaires qui vont avec ? Et surtout, combien d’entre eux atteignent le niveau qu’on leur promettait à leur arrivée ?

Les clubs anglais devront encore attendre un peu pour ce jeune de l’Athletic Bilbao

Côté belge, les exemples sont nombreux : Charly Musonda Junior qui rejoint Chelsea à 16 ans. Julien Ngoy et Thibaud Verlinden qui filent à Stoke City à 16 ans. Florent Cuvelier qui rejoint Portsmouth, toujours à 16 ans. Marnick Vermijl à Manchester United à 18 ans ou Mathias Bossaerts qui rejoint Manchester City à 16 ans. Ces promesses du foot belge sont aujourd’hui dans le dur quand ce n’est pas carrément sans club. Il y a bien les exemples de Lukaku et Januzaj pour contrecarrer la théorie, mais rappelons que malgré le caractère exceptionnel que relevait la maturité de Lukaku, il a quand même échoué à Chelsea. Quant à Januzaj, ses débuts à Manchester United apparaissent de plus en plus comme l’exception d’une carrière qui a malheureusement tout d’une étoile filante.

Le Brexit pourrait favoriser certaines trajectoires qu’on pourrait qualifier de step by step comme celles de Leandro Trossard, Youri Tielemans, Denis Praet, Leander Dendoncker ou Christian Benteke qui ont engrangé de l’expérience et de la légitimité dans le championnat belge avant de partir en Angleterre, voir de Toby Alderweireld, Jan Verthongen, Eden Hazard ou Thomas Vermaelen qui se sont d’abord frottés à d’autres championnats.

Et pour les clubs anglais eux-mêmes, la nouvelle réglementation pourrait également s’avérer bénéfique, notamment en ce qui concerne l’éclosion de talents de leur équipe de jeune. L’exemple de l’interdiction de transferts de Chelsea la saison dernière, bien qu’extrême, montre qu’un club qui doit faire preuve d’inventivité suite à moins de possibilités au mercato peut s’avérer être la bonne surprise de la saison. Serions-nous en train de nous extasier devant les prestations de Mason Mount, Tammy Abraham ou Recce James si les Blues avaient su réaliser un mercato XXL comme celui de cet été ?

L’important, c’est les 15 points

Pour les plus de 21 ans, aucune restriction en termes de nombre, mais il faudra désormais décrocher (comme les moins de 21 ans) un permis de travail. Pour cela, le joueur devra obtenir 15 points lors d’un savant calcul prenant en compte le temps de jeu et le niveau du championnat dans lequel le joueur évolue, mais aussi éventuellement les résultats en Coupe d’Europe et en équipe nationale (là aussi, le temps de jeu et le classement FIFA entrent compte).

En prenant en compte ces restrictions, certains transferts historiques de la Premier League n’auraient pas pu être réalisés. Des noms comme Romelu Lukaku, Teemu Pukki, Ngolo Kanté, Riyad Mahrez, Cesc Fàbregas, Virgil van Dijk, Aymeric Laporte, Paul Pogba, Ederson, Nicolas Anelka, Ole Gunnar Solskjaer ou Cristiano Ronaldo n’auraient pas pu être transférés en Premier League (ou du moins pas au moment où cela a été bouclé).

Alors, à la vue de ces stars qui ne rempliraient pas les sacro-saintes conditions au moment de leurs transferts, la Premier League ne risque-t-elle pas de s’affaiblir ? Romain Poirot, ex-recruteur à Manchester United n’est pas de cet avis : « Les Anglais sont très pragmatiques et très forts pour ça, ils verront après le mercato cet hiver ce qu’il faudra ajuster, leur but c’est d’asseoir la domination de la Premier League. S’ils veulent un joueur, ils l’auront« .

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Avec le Brexit, Chelsea n’aurait pas pu faire ce jeu de mot légendaire

Car c’est bien connu, les règles sont faites pour être contournées, il n’y a qu’à voir comment le monde du football s’amuse du fair-play financier. Et certains clubs belges pourraient bien tirer parti de ce petit jeu. En effet, plusieurs équipes de première et deuxième division sont des partenaires de certaines écuries anglaises. On pointera les collaborations entre le Beerschot et Sheffield United, Louvain et Leicester, Lommel et Manchester City, Courtrai et Cardiff City ou l’Union-Saint-Gilloise et Brighton, sans oublier la complicité grandissante entre Anderlecht et Manchester City depuis le retour de Vincent Kompany.

Ces collaborations pourraient se montrer bien utiles. Pour « contourner » un transfert qui ne pourrait pas se faire en l’absence de permis de travail, les clubs anglais seront peut-être tentés de demander un petit coup de main à leur filiale belge qui achèterait un joueur et le garderait le temps qu’il évolue, remplisse les critères pour avoir les quinze points et le rapatrier dans la foulée. L’occasion pour ces clubs de peut-être voir sur leur pelouse des futures stars de Premier League.

Le cas s’était déjà présenté dans un autre contexte : en 2015, Cardiff, alors dans l’interdiction de dépenser le moindre centime lors du mercato d’hiver, avait demandé à Courtrai d’acheter l’attaquant Kenneth Zohore au club danois d’Odense et de leur prêter dans la foulée avant de l’acheter définitivement une fois l’interdiction levée.

Ces changements de réglementation qui affectent déjà la Premier League sont donc, comme tous les bouleversements, synonymes d’opportunités, au-delà de la fin des facilités d’avant. L’enjeu est maintenant de voir qui saura saisir ces opportunités nouvelles.

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