Brentford : pas de pétrole, mais des idées

Brentford : pas de pétrole, mais des idées

Last Updated on 13 août 2021 by Thibault Dreze

Ce soir, la grand-messe de la Premier League reprend enfin après trois longs mois de sevrage. À cette occasion, tous les yeux seront braqués sur Brentford, qui accueille Arsenal à 20h45 pour le match d’ouverture de cette cuvée 2021/2022. L’occasion était trop belle pour mettre en lumière ce club promu. Oscillant entre la Championship et la League Two depuis la seconde guerre mondiale, l’équipe londonienne s’apprête à faire souffler un vent nouveau sur la Premier League grâce à des méthodes novatrices. D’un staff XXL multidisciplinaire à des data-mercatos qui ont révélé des joueurs comme Maupay, Benrahma ou Ollie Watkins, bienvenue dans le football moderne.


Dans les denses forêts tropicales d’Amérique du Sud, pour qu’une plante arrive à pousser et à se frayer une place au soleil au milieu de la jungle, elle doit sacrément jouer des coudes. N’ayez crainte, vous ne vous êtes pas égaré dans un article botanique, mais bien dans une remise en contexte de l’environnement londonien dans lequel évolue Brentford. Tapis dans Londres, ils sont pas moins de 13 clubs professionnels luttant pour s’arroger un peu de lumière de la capitale anglaise. Avec des arbres centenaires bien établis comme Fulham, QPR, Watford, Millwall et des plantes multicolores plus arrosées que les autres comme Chelsea, Arsenal, Tottenham ou West Ham, c’est en s’adaptant et en se tournant parfois vers des ressources insoupçonnées que l’on parvient à entrevoir la canopée.

Système D

Matthew Benham n’est pas jardinier. Pourtant, lorsqu’il a racheté Brentford en 2012, il a compris que c’est avec des racines plus profondes, en allant chercher des joueurs sous-évalués passés sous les radars, que le club s’en sortirait. Dans cette quête de la trouvaille bon marché, Benham a dans sa botte un atout qui ne connaît pas encore le succès qu’il rencontre aujourd’hui : le recours aux datas. Il faut dire que le nouveau proprio a une certaine expertise en matière de chiffres. Ancien vice-président de la Bank of America, il se lance en 2001 dans le monde du pari sportif comme tispster, développant progressivement des algorithmes pour tenter de prévoir les performances collectives et individuelles.

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Ces indicateurs de performances, Benham les utilise encore lorsqu’il arrive à la tête du club. C’est ce qu’il qualifie de « technique de l’entonnoir » : la conciliation entre les traditionnels rapports des scouts du club et les datas pour orienter vers tel ou tel joueur. L’idée, c’est de débusquer des joueurs de divisions inférieures, donc à moindre prix, en identifiant des équipes qui surperforment par rapport à ce qui est attendu d’elles, révélant ainsi des joueurs sous-côtés. Ensuite, les programmes développés par les techniciens de Smartodds -sa boîte de tispter- comparent le niveau de toutes les ligues européennes d’où proviennent les nouvelles cibles avec celui de Brentford. La technique n’est pas sans rappeler le film Moneyball qui raconte comment Oakland, une franchise américaine de baseball, a construit une équipe sans beaucoup de moyens, en utilisant les statistiques.

Reste qu’au début de la décennie passée, la technique n’est pas aussi poussée qu’aujourd’hui. Alors, quand les choses sérieuses commencent vraiment avec la montée de Brentford en Championship à l’été 2014, Benham acquiert le club danois de Midtjylland pour en faire une équipe pionnière en termes de management, pour mettre sa philosophie à l’épreuve du haut niveau. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les expérimentations ont renforcé notre homme dans ses convictions puisque Midtjylland a fini champion dès la première saison.

À partir de ce moment-là, Brentford s’est spécialisé dans l’arrivée de joueurs inconnus au bataillon qui repartaient à prix d’or quelques saisons plus tard. Parmi les noms passés par Griffin Park, on peut citer Ollie Watkins, Said Benrahma, Neal Maupay, Andre Gray, Ezri Konsa ou encore James Tarkowski. Autant de noms qui ont fini par quitter le club pour une destinée plus huppée, garantissant chaque saison que les comptes restent dans le vert. Pourtant, le niveau n’en a pas souffert puisque l’équipe continuait chaque année de proposer du beau jeu et de lorgner les premières places du classement, jusqu’à finir par décrocher la sacro-sainte promotion pour la Premier League la saison passée. L’explication tient en grande partie dans le fait que les trouvailles s’enchaînent à un rythme effréné sur les bords de la Tamise. La plus belle illustration est le départ de Neal Maupay pour Brighton contre 20 millions d’euros en août 2019. Le jour de son départ, son profil explosif était remplacé par l’arrivée de Bryan Mbeumo, un autre Français, transféré de Troyes contre 6 millions d’euros et qui a d’emblée convaincu en étant impliqué dans 44 buts (goals + assists) lors de ses deux premières saisons.

Le diable est dans les détails

Au fil du temps, Brentford est devenu une référence en matière de gestion, avant d’éclater aux yeux du monde entier cette saison grâce à la Premier League. Et il n’y a pas que la stratégie de recrutement qui est scrutée par les observateurs, c’est toute la vie quotidienne au sein du club qui a ouvert des portes. Chaque aspect, chaque composante du jeu est étudiée pour être optimisée. Au staff habituel de l’équipe première se sont greffées quelques personnalités pas forcément familières du milieu du foot, comme un conseiller pour le sommeil, un spécialiste des rentrées en touche ou un coach en développement personnel. Preuve de la curiosité suscitée, l’entraîneur des phases arrêtées a été embauché par Manchester City, tandis que le centre d’entraînement de Brentford a déjà reçu la visite du staff de Garteh Southgate.

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Bien entouré, le coach, Thomas Frank, est un homme heureux. En plus, contrairement à beaucoup de ses collègues entraîneurs, il vit l’enchaînement des matchs avec une relative sérénité. À Brentford, les défaites ne sont pas à elles seules de nature à placer le coach sur un siège éjectable. Il y a peu, voici ce que déclarait Phil Giles, un des codirecteurs sportifs du club à France Football : « L’important, ce n’est pas uniquement le classement. Il faut aussi se baser sur d’autres tableaux qui ne prennent pas en compte que le résultat brut, qui dépend de nombreux facteurs aléatoires. Nous nous basons en priorité sur la qualité des performances« . C’est là que rentrent en jeu d’autres paramètres comme les expected goals. Thomas Franck a vite pu constater que ce n’étaient pas des paroles en l’air : son aventure à la tête des Bees avait commencé en 2018 avec un bilan de quatre points récoltés en dix matches, mais a quand même été maintenue avec la conviction que le sous-régime de l’équipe n’était que passager.

L’emploi des datas pour un mercato ou pour protéger un coach dont l’équipe n’est pas récompensée par ses bonnes prestations sur le terrain, le recrutement de spécialistes des domaines les plus variés : des initiatives qui, après coup, ont permis au club d’évoluer de s’imposer comme une référence. Pourtant, il y a aussi quelques détails atypiques qui n’ont pas encore fait d’émules. Le plus curieux d’entre eux est la fermeture du centre de formation en 2017. Benham considérait que cela coûtait trop cher au vu des résultats obtenus. Plutôt que de voir partir ses seuls bons jeunes directement dans les grands clubs, le boss a préféré arrêter les frais et travailler sur l’équipe réserve en renforçant les liens avec l’équipe A.

Un autre détail amusant est… la manière dont les joueurs donnent le coup d’envoi. Ce soir, ne vous étonnez pas de voir une passe en retrait suivie d’une chandelle catapultée le plus haut possible, tout cela est étudié. Un grand coup de botte parmi l’élite attendu depuis longtemps par les supporters qui rêvaient de plus en plus fort de cette montée. Pour ce premier match de Premier League au Brentford Stadium (le club a déménagé de Griffin Park en 2020), c’est un premier derby londonien qui attend les promus. L’occasion de tester une première fois la résistance des jeunes pousses face aux premiers coups de vent de cette jungle inextricable qu’est le foot anglais.

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