« All or Nothing Tottenham »: quand les gentils doivent devenir méchants

Last Updated on 26 novembre 2020 by Thibault Dreze

Après Manchester City, « All or Nothing » débarque à Tottenham. La série Amazon arrive dans une saison riche en rebondissement (2019/2020), entre l’arrivée du manager Mourinho, les performances en dent de scie et les conséquences du coronavirus. Du pain bénit pour les scénaristes qui profitent une nouvelle fois du caractère dramatique du football pour réaliser cette série documentaire.


En anthropologie, on explique souvent que l’observation d’un groupe de personne est forcément biaisée puisque ce groupe se sait observé. C’est toujours le défi ce ces séries documentaires qui suivent des sportifs dans leur milieu. Trouver le juste équilibre entre moments sincères et ceux qui relèvent plus du show. Et contrairement à la série consacrée à Manchester City, on a le sentiment de tendre un peu plus vers la sincérité. Sans doute grâce à ces caméras fixées dans les vestiaires et aux endroits clés, comme le bureau de Mourinho, qui font en sorte que les joueurs et membres du staff ont peut-être tendance à les oublier.

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La série suit donc la saison 2019/20 des Spurs. Avec en guise d’introduction un rapide retour sur l’aboutissement de la saison précédente et cette finale, perdue, de Ligue des Champions. Daniel Levy, le président du club est aux anges. Son club qui a récemment emménagé dans un stade flambant neuf est au pinacle de son histoire européenne et semble armé pour faire de grandes choses en championnat.

On sent sa relation avec le coach d’alors, Mauricio Pochettino, idéale, voire idyllique. Autrement dit, tout va bien dans le meilleur des mondes. Mais ce que le club et ses fans ignorent en ce début de saison, c’est que cette finale perdue de Ligue des Champions couve une série de désillusions. En effet, après un décevant 8 sur 15 en championnat, le club va connaître une série de mauvais résultats notamment en Champions League. Avec une humiliante défaite 2-7 face au Bayern Munich en guise de climax.

Le douloureux divorce devient inévitable et Levy en est le premier attristé. Mi-novembre 2019, le club doit remercier le coach argentin, comme souvent en football, la tête est le premier élément que l’on coupe quand les choses tournent mal.

Mourinho, le sel qui manquait

La série prend alors une tournure complètement différente. Comme ces réactions d’un faux public dans un sitcom américain quand une guest star fait son apparition. All of Nothing recrute sans le vouloir son meilleur acteur pour la suite de la saison et c’est bien sur lui qu’elle va fatalement braquer les objectifs.

«Il y avait deux fois plus de caméras qu’avant», explique d’ailleurs une source du vestiaire à The Athletic. Avec des microphones placés sur les tables de la cantine pour capter les conversations «privées» des joueurs ainsi que dans le bureau du Mou, himself.

Ce bureau est aussi le théâtre de discussions qui peuvent sembler intéressantes dans un premier temps, mais comme expliqué plus haut, on est en droit de se poser des questions quant à la sincérité de ces échanges vu les caméras qui entourent les protagonistes. Cela donne quand même lieu à une scène cocasse où Mourinho fait comprendre à Danny Rose qu’il peut aller voir ailleurs (ce qui amènera à son prêt à Newcastle), avec un sourire bien narquois dont il a le secret. Ce qui a le dont, on le sent, d’irriter le latéral gauche.

Beaucoup de caméras sont également présentes dans les vestiaires et ces échanges paraissent bien plus vrais. « Il est difficile de jouer un rôle dans un vestiaire », ajoute la source. On y vit les joies et les peines des joueurs, notamment après une blessure, qui n’ont pas épargné les Spurs cette saison-là, ou une exclusion. Mourinho y joue un rôle central, forcément en tant que coach de l’équipe.

Ces causeries sont, par contre, très répétitives. Oubliez les discours tactiques, il y en aura très peu dans All or Nothing. Cela n’est sans doute pas assez divertissant pour le grand public. Les discussions se concentrent plutôt sur la rhétorique et la mentalité que Mourinho veut transmettre à ses joueurs. Cela deviendra un vrai leitmotiv: il veut que ses joueurs soient plus méchants sur le terrain. « Bad guys », « Basterds », « Don’t be fucking nice » lance le manager portugais au fil des matches.

Il est vrai qu’à l’image des gueules d’anges que sont Son ou encore Lloris, ce Tottenham ne dégage pas une impression d’agressivité face à l’adversaire. Mourinho demande constamment à ses gentils joueurs de devenir des méchants. Des exigences qui ont du mal à s’imbriquer chez les joueurs. Les Spurs terminent péniblement à une 6e place, certes synonymes d’Europa League, mais bien loin des standards affichés la saison précédente.

Les oubliés

Au début de la série, le narrateur explique que les équipes de tournage ont eu un accès total au club. On imagine bien que cela est faux et malgré des scènes intéressantes qui dévoilent le fonctionnement d’un club de Premier League (causeries, pourparlers de transferts, gestion des blessés …), on sent bien que certains thèmes ont complètement été étayés. Un club majeur de Premier League doit garder la « final cut ». Pas folle, la guêpe !

Beaucoup d’épisodes peu « reluisants » sont presque passés sous silence. Pochettino, qui a tout de même été coach durant un tiers de la saison en question, n’apparaît que quelques secondes dans le premier épisode. Selon les médias anglais, le coach n’aurait pas vu d’un bon oeil l’arrivée de caméra dans son vestiaire. Cela l’aurait freiné dans sa sincérité avec son groupe. Mais il faut dire que l’arrivée de Mourinho, bien plus télégénique, a certainement joué dans l’écriture du show.

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Des matches ne sont même pas évoqués, comme l’élimination en Coupe de Ligue par Colchester ou encore la grossière défaite face à Brighton (3-0). L’épisode de la blessure de Gomez sur une faute de Son n’est pas non plus abordé. La dispute entre Son et Lloris est évoquée, mais rapidement détournée en « c’est normal dans le sport de haut niveau ».

Enfin, la situation sanitaire qui a touché la Premier League de plein fouet est peu évoquée et on sent que la série se termine un peu rapidement, presque bâclée. Evidemment ce contexte n’a sans doute pas permis aux équipe de tournage de travailler idéalement.

Une question d’image

Il ne faut pas non plus croire que les clubs acceptent d’ouvrir leurs portes par pur altruisme et pour faire plaisir à tous les fans. Il y a clairement un enjeu d’image qui découle sur un enjeu économique. Non seulement un documentaire type All or Nothing, avec un minimum de contrôle, peut faire rayonner une image positive du club et de la marque Tottenham à travers le monde et même chez les désintéressés du football, mais il rapporte directement de l’argent.

En effet, pour la série Amazon consacrée à Manchester City, le club a touché une dizaine de millions de Livres et il semblerait que le montant versé à Tottenham soit similaire. De plus, les retombées économiques peuvent être positives si la série suscite chez les spectateurs de la sympathie et vont peut-être suivre le club sur les réseaux sociaux, des joueurs, acheter un maillot, visiter le stade ou acheter un maillot. Tout cela compte aussi. C’est d’ailleurs dans ce sens que la série va aboutir sur un partenariat retail entre Tottenham et Amazon.

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À l’image de son nouveau stade, Tottenham veut entrer dans la cour des grands. Cela passe aussi par ces mises en avant télévisuelles. D’une certaine manière Tottenham est devenu un grand club, commercialement parlant. Le partenariat avec la NFL en est une preuve supplémentaire ainsi que l’écosystème développé autour du stade, la fameuse fan experience.

Comme le résume bien The Athletic, « la série est un aperçu de ce qui se passe dans un club de Premier League et qui, naturellement, ne donne pas une image complète. Même s’ils l’avaient voulu, neuf épisodes ne suffisent pas pour le faire, et bien qu’Amazon n’ait pas donné son veto à Tottenham sur la final cut en plus des inexactitudes factuelles, quand il y a tant de restrictions de tournage et de considérations commerciales, il y a toujours un risque des programmes tels que ceux-ci tombent dans l’hagiographie. » Tout n’est pas parfait, mais ce genre de série reste un bon moyen de regarder à travers la serrure d’une porte, sauf que de l’autre côté de la porte, on sait que quelqu’un nous observe.

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