Premier league Tales

Crying winners, dancing losers

Une histoire d’Antonio Morettini

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Il n’est pas donné à tout le monde de laisser une trace. Nombreux sont ceux qui ont essayé, innombrables sont ceux qui essayeront. L’histoire, avec un grand H, ne se souvient pas de tout, ni de tout le monde. Notre imaginaire collectif est marqué, sculpté par des artistes, des virtuoses qui, munis de leurs outils, forgent la pierre et la travaillent sans relâche, pour laisser enfin un témoignage de leur passage.  

26 mai 1999, Barcelone. Pierluigi Collina siffle trois fois. Un simple son, répété trois fois. Un simple son, qui, pourtant, fait rentrer l’équipe de Sir Alex Ferguson dans l’histoire, celle avec un grand H. Les Red Devils sont champions d’Europe, quatre jours après avoir remporté la FA Cup, dix jours après avoir remporté le championnat. Après les exploits contre Tottenham, lors de la dernière journée, et face à Newcastle, en finale de coupe, Manchester United bat le Bayern Munich 2 à 1. Deux buts dans les arrêts de jeu, deux balles qui franchissent la ligne au dernier souffle. Ce soir-là, après avoir soulevé la coupe aux grandes oreilles, les Mancuniens ne s’en rendent pas encore compte, mais leur exploit les propulse dans le Hall of Fame du football anglais, européen, et international. Retour sur l’une des plus grandes pages du football anglais.

Les secrets de la réussite

Été 1998. Rien ne laisse présager une saison pareille. Que ce soit chez les bookmakers ou chez les fans du ballon rond, tous les yeux sont rivés sur la capitale anglaise : Arsenal, tenant du titre, s’apprête à remettre sa couronne en jeu, sans se douter un instant de la saison qui se profile à l’horizon. 

Quelques centaines de miles plus au nord, dans une ville toujours teintée de rouge, l’heure n’est pas à la rigolade pour la bande à Ferguson. En effet, Éric Cantona vient de raccrocher les crampons, laissant un vide immense dans le cœur de supporters mancuniens ainsi que dans l’effectif de Manchester. La réaction du club ne se fait pas attendre, et Manchester United se lance tête première dans le marché des transferts estivaux, à la recherche de renforts. Quelques semaines plus tard, Jaap Stam, Dwight Yorke et Jesper Blomqvist rejoignent les troupes de Ferguson. Ces recrues viennent s’ajouter à Teddy Sheringham et Ole Gunnar Solskjaer, arrivés respectivement il y a deux et trois ans. La saison sera longue et Sir Alex Ferguson l’a bien compris, pour rivaliser sur trois tableaux différents, la profondeur d’effectif est essentielle. 

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Les achats effectués se révèlent très vite décisifs. Jaap Stam s’intègre à merveille au sein de l’effectif, et devient patron de la défense. Le Hollandais au regard d’acier est toujours le premier au contact, et le dernier à lâcher. Au niveau du milieu de terrain, la concurrence est rude, et les places limitées : le 4-4-2 de Sir Alex ne fait pas de cadeau. Néanmoins, Blomqvist se révèle plus qu’utile, et finit même par intégrer le onze de départ face au Bayern, en finale de Ligue des Champions. Mais si le Suédois fait ses débuts au sein du club en pointe des pieds, on ne peut pas en dire de  même pour Dwight Yorke. Le Trinidadien, fraîchement arrivé d’Aston Villa, est inséré dans l’équipe type de fin de saison, termine meilleur buteur de la Ligue des Champions et co-meilleur buteur du championnat, à égalité avec Michael Owen et Jimmy Hasselbaink. Mais au-delà de ses statistiques individuelles, c’est surtout son attitude sur le terrain et son alchimie avec Andy Cole que les gens retiennent. Le duo est inarrêtable, perfore chaque défense, et trouve systématiquement le chemin des filets. Andy et Dwight. Yorke et Cole.

Fergie’s Fledgings

Il serait néanmoins trop facile d’attribuer tous les mérites de ce succès au mercato estival uniquement. Car, bien qu’ayant investi pour attirer de grosses pointures dans ses rangs, Manchester United s’est aussi développé autrement lors de cette période. À cette époque, Ferguson se met en tête de renouveler ainsi que de restructurer complètement le centre de formation des Red Devils, prouvant encore une fois son importance au sein du club, pas en tant que coach uniquement, mais aussi en tant que manager, au sens propre du terme. Et c’est précisément de ce centre de formation qu’arrive la pièce maîtresse du triplé : The Class of ’92. Beckham. Giggs. Neville. Butt. Ensuite Scholes, puis Neville encore. Une vague de fraîcheur, de fantaisie et de génie, tout droit sortie de l’académie du club. Le monde ne le sait pas encore, mais le génie de Ferguson a encore une fois frappé. 

L’impact de ce groupe de jeunes au sein du groupe sera tout bonnement fantastique. Défensivement, la solidité apportée par Gary Neville est impressionnante. Le flanc droit lui appartient. Il apporte de la stabilité au sein du 4-4-2 de Manchester, que ce soit en phase de reconversion ou de récupération. Ses statistiques personnelles sont simplement effarantes : 53 titularisations en une saison. Phil, le cadet, et titulaire en devenir, en collectionne 32. 

Si Neville est un rouage essentiel de la défense Red, Paul Scholes, lui, est le chef d’orchestre incontesté. Tantôt métronome, tantôt catalyseur, Scholsie dicte les temps comme personne d’autre. Sa qualité balle au pied, sa vista et son calme complètent parfaitement Roy Keane, capitaine et pilier du milieu de terrain. 

Le grand leader et le petit rouquin. Au duo Keane-Scholes viennent s’ajouter les ailiers Ryan Giggs et David Beckham. Deux noms qui en font frémir plus d’un rien qu’à les prononcer. 

La force physique et les débordements de Giggs, complétés par la technique et le sens de jeu de Beckham achèvent de construire un des milieux les plus solides et complets de l’histoire de Manchester United. Se pencher sur les chiffres de Beckham permet de comprendre l’importance et la présence dans le jeu de United : sur les neuf derniers buts des Red Devils en Ligue des Champions, six viennent de son pied droit.

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«Never say die»

Comme en témoignent les Fergie’s Fledgings, comme en témoigne le leadership de Roy Keane, ou encore les buts de Solskjaer, Cole et Yorke, l’effectif de Manchester United présente un grand nombre d’individualités. Des champions, des virtuoses et des caractères bien trempés qui, ensemble, forment un mélange dangereux, explosif et difficile à manier. Le plus grand exploit de Ferguson, et peut-être le plus déterminant, a consisté à créer cette alchimie, à renforcer les liens au sein de ce groupe, pour leur inculquer cette hargne, cette culture de la victoire et cette lucidité qui les a amenées, en cette soirée de printemps 1999, à monter sur la marche la plus haute de l’Europe. 

Ferguson le sait, le chemin qui mène à la gloire est long et semé d’embûches. Les hommes qu’il emmène avec lui ne peuvent pas être n’importe qui. Sir Alex, tel un père trop sévère qui n’espère rien de plus que la réussite de son enfant, développe sa stratégie autour de trois axes : discipline, lucidité et travail. L’équipe se doit de raisonner comme un seul homme, pour ne former qu’un. Buteur lors de la finale face au Bayern, Teddy Sheringham l’explique très simplement : « Never say die, never give up ». 

Élément décisif, la détermination d’Alex Ferguson se fait ressentir tout au long de la saison, du premier match au dernier. Première journée de championnat : Manchester égalise à la 94e minute de jeu, suite à un coup franc de Beckham, face aux Foxes de Leicester. Dernier match de la saison : Sheringham et Solskjaer offrent la victoire à Manchester United en finale de Ligue des Champions face aux Bayern dans les arrêts de jeu, après avoir été menés au score 90 minutes. Le Fergie Time à son apogée.

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Néanmoins, peu à peu, les efforts de Ferguson se mettent à porter leurs fruits. Suite au Boxing Day de décembre 1998, Manchester United reste invaincu pendant 33 matches, et en février, les Red Devils prennent enfin la tête du championnat, en s’imposant face à Charlton à la 89e minute. Cette envie, l’attitude des onze sur le terrain à tout donner pour leur maillot, à ne décevoir Sir Alex Ferguson sous aucun prétexte, achèvent de façonner ce grand groupe de joueurs, cette famille promise à de grandes choses. 

La suite, le monde la connaît. Manchester United devient champion d’Angleterre, puis vainqueur en FA Cup, pour ensuite remporter la Ligue des Champions. Un triplé sensationnel. Lennart Johansonn, alors président de la UEFA, était au Camp Nou lors de la finale, mais s’absente quelques instants des tribunes, assez pour ne pas voir les deux buts de Manchester. En regagnant sa place, il dit : « Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Les gagnants pleurent et les perdants dansent ? »

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